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10 novembre 2009 2 10 /11 /novembre /2009 14:26

Du Moyen Age à la Renaissance. La montée du dualisme.

 

1.     Les « Lumières » et  l’autonomie de la raison.

 

a.     Analyse de F. Schaeffer.

 

« Dans la pensée de Thomas d’Aquin, si la volonté de l’homme est déchue, son intelligence ne l’est pas. Cette conception limitée de la Chute, contraire à la Bible, est la cause de bien des difficultés. Ainsi, dans le domaine de la vie, celui de l’intelligence, l’homme est considéré, maintenant, comme indépendant, « autonome ». Cette autonomie est manifeste de plusieurs manières dans l’œuvre de Thomas d’Aquin : elle permet, par exemple, le développement de la théologie naturelle, indépendamment de la révélation scripturaire. Saint Thomas pensait qu’il y avait corrélation et même unité entre ces deux approches de la théologie, mais désormais, il faut le souligner, il existe un domaine où la pensée est autonome.

 

A partir de ce « principe d’autonomie », la philosophie rompt, à son tour, avec les Ecritures et prend son libre essor. A sa suite, cette tendance, en vérité moins nouvelle qu’il n’y paraît, va se préciser et, loin de rester limitée à la théologie philosophique de Thomas d’Aquin, va gagner le domaine des arts… C’est progressivement que la nature conquiert son indépendance au détriment de la grâce. Jusqu’à la Renaissance comprise, de Dante à Michel-Ange (1475 – 1564), l’ « autonomie »de la nature s’affirme de plus en plus et celle-ci s’éloigne de Dieu au fur et à mesure du rejet, par les philosophes, de toute tutelle. Lorsque la Renaissance atteint son apogée, la nature a supplanté la grâce. »[1]

 

 

 

 

 

 

la sphère de la Grâce

 

Appelée « niveau supérieur » par Francis Schaeffer,    incluait le religieux (Dieu, le créateur, le ciel et les réalités célestes) l’invisible et son influence sur la terre, le spirituel, la communication directe avec Dieu, la vie éternelle, l’âme de l’homme…c’est le domaine de l’unité. (L’unité : des universels ou des absolus donnant à l’existence et à la morale leur signification)

 

 

 

 

 

 

la sphère de la Nature

 

Appelée  « niveau inférieur » incluait la création, le monde de la matière, également toutes les activités de l’homme qui n’avaient pas de relation avec la piété, la prière ou les sacrements, le corps de l’homme… c’est le domaine de la diversité. (Les choses individuelles, les particuliers, ou les actes individuels des hommes.) Comme la nature (et donc aussi l’intelligence) a été blessée par la Chute, la Révélation doit reprendre, redire, les vérités naturelles plus ou moins perdues et oubliées (celle de la création divine, celle du Décalogue, par exemple).

 

« La Réforme met en évidence que la révélation de Dieu dans l’Ecriture concerne à la fois, le « niveau supérieur » et le « niveau inférieur », c’est-à-dire la personne même de Dieu – les choses célestes- et aussi la nature – l’univers et l’homme – offrant une connaissance vraiment unifiée. Le problème de l’opposition entre nature et grâce, si embarrassant pendant la Renaissance, ne se pose pas aux hommes de la Réforme. Pour eux, l’unité du champ de la connaissance est réelle, non parce que leur intelligence est supérieure, mais parce que cette unité se fonde tout simplement sur la Révélation divine et ce qu’elle enseigne sur les deux « niveaux ». En contraste avec l’humanisme, la Réforme rejette toute idée d’ « autonomie ». [2]

 

b.     Commentaires de Jean Brun sur le temps des Lumières

 

« La lecture du Livre du Monde s’est appuyée sur la raison glorifiée par le cartésianisme et sur l’expérience mise au premier plan par l’empirisme anglo-saxon ; on pense de plus en plus que les ressources de la « lumière naturelle » dispensent de recourir à la Révélation des Ecritures et que le monde deviendra auto – explicatif pour ceux qui seront capables d’en interpréter scientifiquement le langage ; on consentira, tout au plus, à quelque concession déiste affirmant que Dieu est l’Horloger qui a fabriqué la machine du monde selon des lois à mettre au jour. En France, en Allemagne, en Italie comme en Angleterre, les Lumières travaillent à faire de l’homme ce vivant capable de transformer la nature, après en avoir connu les lois, ainsi que la société dont l’organisation devra être soumise à un ordre rationnel au lieu d’être livrée au bon plaisir de quelques uns ou au hasard des conjonctures. Ce culte de la raison et de l’expérience se prolonge dans cette idée nouvelle que l’homme est perfectible et que l’Histoire peut et doit ouvrir la voie au Progrès. D’où la conviction que le péché ne pèse pas inexorablement sur la condition humaine, mais que l’homme est capable de faire le Bien ; la bienfaisance permettra d’assurer à chacun une vie où le plaisir sera substitué à la contrition et à la résignation une fois que les idées claires et l’observation des faits auront délivré les hommes de l’erreur, des superstitions et des fantasmes qui s’y rattachent. La raison et l’expérience deviennent les deux veaux d’or capables de permettre aux hommes d’être « comme des dieux » pour domestiquer le Leviathan en lui permettant de vivre enfin dans une cité où le bonheur sera à la portée de tous. Rationalisme, empirisme, hédonisme, utilitarisme et eudémonisme convergent ainsi dans cette idée qu’il faut apprendre dans le Libre du Monde ce qui permettra de connaître la nature humaine pour lui donner la possibilité de s’épanouir. »[3]

 

2.     Descartes contre Pascal

 

a.     Descartes

 

« Avec Descartes, l’Arbre du Savoir a pris une vigueur considérable, et l’idée d’un salut par la connaissance est venue à se préciser. Car la philosophie de Descartes n’est pas une philosophie tragique, ce n’est pas une philosophie de la crainte et du tremblement ; les uns l’en félicitent, d’autres l’en blâment. C’est ainsi que Pascal trouvera Descartes « inutile et incertain » et lui reprochera de s’en être tenu à un Dieu pour savants et pour philosophes qui n’a rien à voir avec celui d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Kierkegaard puis Jaspers verront dans le doute cartésien une sorte de subterfuge méthodologique totalement étranger au doute dévorant de la foi ou de l’angoisse existentielle (…)

 

L’arbre de Descartes est finalement un arbre mort ; il n’a ni feuillez, ni fleurs, ni fruits, aucun oiseau ne viendrait s’y nicher, il ne pourrait offrir de l’ombre à aucun voyageur fatigué, il est tout au plus bon à fournir du bois que des machines transformeront en planches. Bref, il y a dans le cartésianisme un Arbre de la Connaissance qui a contribué à faire disparaître l’Arbre de la Vie. La chute, la faute, la Passion du Christ, les vérités sanglantes, font peut-être partie de ce que Descartes appelait les vérités de la foi et de la religion, mais elles n’ont aucune place dans la réflexion philosophique. En outre, dans le cartésianisme la démonstration se substitue à la monstration par la Révélation et l’Incarnation ; c’est l’homme qui accède à Dieu à l’occasion d’une réflexion ascensionnelle, ce n’est pas Dieu qui vient à l’homme à travers le médiateur (…)

 

La mathématisation de la physique, l’intellectualisation de Dieu par le cartésianisme, le recours à la lumière de l’idée claire et distincte, l’intronisation de la mesure et de la quantité, l’affirmation qu’il suffit de bien juger pour bien faire, l’idée que l’homme doit travailler à instaurer une science dont les applications techniques le délivreront d’un passé dont il doit se détacher, tout cela constituera, certes, le centre de thèmes autour desquels pourront s’organiser des leçons de rigueur, mais tout cela servira aussi de fondement à une aristocratie du savant et du technicien et à une auto-consécration de l’homme comme être autosauveur et autocréateur ». [4]

 

b.     Pascal 

 

Le Mémorial : «L ’an de grâce 1654. Lundi 23 Novembre jour de saint Clément pape et martyr et autres martyrologues. Veille de saint Chrisogone martyr et autres. Depuis environ dix heures et demie du soir jusques environ minuit et demi.

FEU.

Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, non des philosophes et des savants. Certitude. Certitude. Sentiment, Joie, Paix. Dieu de Jésus-Christ. Ton Dieu sera mon Dieu. Oubli du monde et de tout hormis Dieu. Il ne se trouve que par les voies enseignées dans l’Evangile. Grandeur de l’âme humaine. Père, juste, le monde ne t’a point connu, mais je t’ai connu. Joie. Joie, Joie, pleurs de Joie. Je m’en suis séparé--------------------------Mon Dieu, me quitterez vous ? Que je n’en sois pas séparé éternellement. Cette est la vie éternelle qu’ils te connaissent seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé Jésus Christ. Jésus Christ. Jésus Christ. Je m’en suis séparé. Je l’ai fui, renoncé, crucifié. Que je n’en sois jamais séparé ! Il ne se conserve que par les voies enseignées dans l’Evangile. Renonciation totale et douce. »

 

 

3.     Le dualisme de Kant[5]

 

Kant est connu, avant tout, pour l'application qu'il fait à la théorie de la connaissance de la distinction entre le noumène (les choses en soi) et les phénomènes.   Le domaine nouménal, c'est la réalité en tant que telle, en dehors de toute connaissance humaine. Dieu, le monde, le moi, la liberté et l'immortalité existent réellement, mais ils sont des "idéaux" qui débordent notre expérience.   Nous ne savons pas ce qu'ils sont, même si nous savons qu'ils existent. Ces réalités qui sont "en soi" inconnaissables ne peuvent pas, pour cette raison, être vraiment distinguées et tendent à être confondue - Dieu est identifié avec la liberté ou avec une valeur morale.

 

Les phénomènes sont, à l'inverse des réalités que nos sens perçoivent. Dans ce domaine, la raison est apte à les connaître. Avec David Hume, qui, selon ses propres mots, l'a "réveillé de son sommeil dogmatique", Kant pense que toute connaissance dépend de l'expérience, mais il n'est pas aussi catégorique que le philosophe écossais; il admet que notre intelligence aide à la connaissance en structurant la réalité avec des notions comme l'espace et le temps, le possible, l'unité et la diversité, la causalité etc. La raison a donc une fonction suprême puisque, non seulement elle enregistre les données, mais elle les organise selon ses catégories.

 

Cette théorie de la connaissance constitue le fondement dialectique de la théologie moderne. D'une part rien n'est connaissable en soi, mais cela n'empêche pas d'affirmer que Dieu doit exister; d'autre part, notre raison peut connaître et organiser de façon complète ce qui est appréhendable par les sens. Autrement dit, la réalité ultime nous reste inconnue; il est impossible d'avoir une connaissance objective de Dieu. Le Créateur et la vérité sont inconnaissables par nature car les deux nous dépassent. Le monde réel est celui que l'homme appréhende dans les phénomènes dont il est capable de concevoir les caractères.

 

Ainsi d'une part la raison est infirme, car elle est incapable de connaître la réalité ultime, "les choses en soi", d'autre part elle sert de critère pour décider ce qui relève ou non de notre expérience.

 

Cette présentation de ce qui est possible à l'être humain de connaître a trouvé une application dans trois aspects de la pensée dialectique qui a dominé le développement de la théologie au 19e et au 20e siècle :

 

1. La transcendance et l'immanence  

Dieu, le Tout Autre, est inconnaissable, car il transcende notre raison. De façon immanente, la connaissance que l'on peut avoir de Dieu s'acquiert dans les mêmes conditions que pour les autres phénomènes de notre monde ;

 

2. L'irrationalisme et le rationalisme  

La réalité de Dieu, "Dieu est" est une affirmation sans aucune justification; elle constitue une conviction invérifiable. Par contre, dans le domaine des affirmations logiques, la foi en Dieu trouve une place là où la raison ne s'aventure pas;

 

 

 

Le sujet et l'objet 

 

Tout ce qui confère un sens à l'existence est subjectif, lié au sujet et s'inscrit dans la sphère de ce qui est personnelle. Les convictions intérieures ne peuvent être transcrites dans des formulations objectives qui les falsifient.

 

La connaissance de Dieu, la foi, constituent le premier terme de la dialectique. Elles dépassent notre raison, sont affirmées en dehors d'elle, de façon non rationnelle, elles relèvent de notre conviction personnelle et sont subjectives. En pratique, dans la théologie moderne, toutes  les affirmations bibliques, telle que "Dieu est éternel", "il n'y a qu'un seul Dieu", "Jésus-Christ est Seigneur", "Christ est mort sur la croix pour nos péchés", "Dieu est réconcilié en Christ", expriment des convictions subjectives, non-vérifiables qui appartiennent au seul domaine de la foi et non à celui de la raison. Ces affirmations bibliques ne constituent pas des vérités à côté des autres vérités de notre monde. Dès que nous les faisons entrer dans le domaine de l'objectivité pour notre raison, elles perdent tout sens, parce que, d'une part, il est impossible de considérer Dieu comme un phénomène et, d'autre part, notre raison regimbe contre cette possibilité. Comme l'a dit Bonhoeffer :

 

"...Dieu a été écarté toujours davantage du monde devenu majeur, du domaine de notre vie et de nos connaissances, et n'a conservé depuis Kant qu'une place au delà du monde et de l'expérience".[6]

 

 [1] Francis Schaeffer : « Démission de la raison ».

[2] F. Schaeffer. « Démission de la raison »

[3] Jean Brun : « L’Europe philosophe », p 112

[4] Jean Brun : « L’Europe Philosophe », p 174

[5] D’après un cours de M. Wells.

[6] D. Bonhoeffer : « Résistance et soumission ». Labor et Fides


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